Chèque Santé : Entre espoir sanitaire et défis budgétaires dans la région du Sud

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Depuis l’extension de la Couverture Santé Universelle (CSU) en avril 2023, la région du Sud du Cameroun s’est engagée dans la généralisation du projet Chèque Santé. Louis Degonzac Boyogueno, administrateur du Fonds régional pour la promotion de la santé, revient sur la mise en œuvre de ce programme phare, ses résultats, les défis rencontrés et les stratégies déployées pour garantir son efficacité malgré les contraintes.

Dans la région du Sud, le Fonds régional pour la promotion de la santé joue un rôle central dans la mise en œuvre de la stratégie Chèque Santé, agissant comme tiers-payant. À ce titre, il est chargé de vérifier les prestations effectivement réalisées dans les formations sanitaires avant tout remboursement. Ce travail minutieux de contrôle conditionne le financement des structures sanitaires impliquées dans la CSU. Depuis 2023, une enveloppe prévisionnelle de 2,5 milliards de FCFA a été allouée à la région du Sud pour la mise en œuvre de la CSU, dont le Chèque Santé constitue la pierre angulaire. Cependant, à ce jour, seulement 39 % de cette somme a été effectivement reçue, soit environ 1,5 milliard de FCFA. Ce retard de décaissement pèse lourdement sur le bon déroulement des activités sur le terrain.

Le programme a connu un démarrage lent en raison d’un déficit de compréhension de la stratégie par les populations et certains acteurs du système de santé. En 2023, seulement 3 650 chèques santé ont été vendus. Mais les efforts de sensibilisation et d’appropriation ont permis une nette amélioration : 10 510 chèques ont été distribués en 2024, et pour le premier semestre 2025, 6 405 chèques ont déjà été enregistrés. Avec une moyenne mensuelle de 1 000 chèques, la région atteint ainsi près de 80 % de son objectif de couverture, basé sur une cible estimée à 1 200 femmes enceintes par mois.

Le principal défi reste le financement irrégulier et insuffisant. En l’absence de décaissements à temps, le Fonds régional est parfois contraint de puiser dans les budgets de fonctionnement pour procéder aux remboursements. Une opération de vérification, essentielle pour le déclenchement des paiements, coûte en moyenne 3,5 millions de FCFA, mobilisant jusqu’à 12 agents sur le terrain. Faute de moyens logistiques, certaines vérifications s’effectuent parfois à pied ou à moto louée, ce qui ralentit considérablement les opérations. En outre, la plateforme nationale Open Imis, dédiée à la gestion digitalisée des prestations, connaît régulièrement des dysfonctionnements, empêchant parfois la génération des factures. Cela contraint les gestionnaires régionaux à des arbitrages douloureux, mettant de côté certaines prestations (comme la prise en charge du VIH) au profit d’autres, comme le Chèque Santé ou le traitement du paludisme.

Face aux contraintes, les responsables régionaux ont mis en place des mécanismes d’adaptation. Un calendrier strict de remboursement a été convenu avec les formations sanitaires : deux mois pour la vérification, deux mois pour le traitement et le paiement. Une communication continue via des plateformes numériques permet de maintenir la confiance des acteurs du terrain, même en cas de retard. Le Fonds bénéficie également de l’appui de partenaires tels que la GIZ, qui appuie la formation continue des personnels et renforce la sensibilisation. Les élites locales, y compris des mairies et des responsables politiques, s’impliquent en finançant des lots de chèques santé, distribués gratuitement aux femmes enceintes.

En janvier 2025, le Fonds régional du Sud a été classé parmi les trois meilleurs au niveau national en matière d’enrôlement, de remboursement et de gestion du personnel. Une performance saluée par les partenaires techniques et financiers. Pourtant, l’administrateur reste prudent, soulignant que ce classement flatteur cache une réalité précaire : le manque de logistique, de matériel roulant et de ressources humaines dédiées pourrait compromettre la durabilité des résultats obtenus.

Pour Louis Segonzac Boyogueno, il est urgent d’assurer un financement durable du programme. Des réflexions sont en cours au niveau central, comme l’instauration d’une taxe dédiée à la CSU ou une majoration de la TVA. En attendant, le plaidoyer local se poursuit pour mobiliser les fonds nécessaires au bon fonctionnement du système. « La CSU, c’est une grande maison avec plusieurs chambres. Le Chèque Santé, c’est la chambre principale. Si nous parvenons à bien gérer cette chambre, on est sûr que les formations sanitaires ne seront pas démotivées. »

La réussite du Chèque Santé dans la région du Sud montre qu’avec volonté, rigueur et engagement local, une politique publique ambitieuse peut produire des résultats, même dans un environnement budgétairement contraint. Reste à savoir si les appuis nécessaires seront réunis pour franchir un nouveau cap.

Albert BOMBA

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