Interview -Dr Mohamadou Guemse : « A l’Hôpital de District de Mfou, la valeur financière n’est pas primaire»
Directeur de l’hôpital district de Mfou, le Dr Mohamadou Guemse nous parle de la convivialité régnante entre le personnel soignant et les patients lors de leur prise en charge en mettant en avant la gratuité des soins.
Comment décrire l’hôpital de district de Mfou ?
L’hôpital district de Mfou est connu comme l’hôpital départemental parce que Mfou est une commune qui est au centre du département à configuration circulaire. Sur le plan géographique, tous les centres de santé qui sont en périphérie dans la Mefou-Afamba ont pour hôpital de référence l’hôpital départemental. De manière concentrique, les populations sont bien réparties autour de cet hôpital et des villages. La commune de Mfou a environ 130 000 habitants. Cet hôpital district est le seul hôpital du département qui regorge tous les services que vous pouvez avoir dans un département c’est-à-dire la morgue, la pharmacie, le laboratoire, la radiologie complète, la pédiatrie, la maternité, la chirurgie et la médecine générale. On a aussi un fort service qui est celui de l’Unité de prise en charge des personnes vivant avec le VIH (UPEC). C’est un service qui est très performant vous savez bien que nous avons toujours la primeur en terme de rétribution financière. Cela sous-tend que les services compétents évaluent l’activité de l’UPEC en regardant le nombre de gratuité qu’on a fait pour les patients VIH et nous le restituent sous forme de valeur financière trois mois après. En d’autres termes, en regardant dans les registres on comptabilise tous les patients VIH qui se sont rendus à l’Hôpital district de Mfou et qui ont bénéficié de gratuité pour leur prise en charge pendant une bonne période. C’est cette sommation-là qui est donc remise sous forme de valeur financière. Ladite valeur financière nous hisse toujours au rang de premier dans la région du Centre.
Qu’est-ce qui fait de vous la référence dans la ville de Mfou ?
On n’a certes pas beaucoup de patients mais nous nous efforçons à tout faire de manière gratuite comparé aux autres hôpitaux districts à Yaoundé. L’astuce ici pour moi c’est qu’avec 500 patients, les médecins fassent preuve de gratuité. Les malades ne doivent rien payer. Il est à savoir qu’on prime et qu’on paye justement la gratuité. Cette stratégie nous a ainsi permis en privilégiant ce service-là de faire passer la notion de gratuité dans la prise en charge des malades. Si on peut prendre en charge gratuitement les patients à l’UPEC, on peut aussi le faire pédiatrie, à la maternité principale, en médecine et en chirurgie. C’est cette philosophie-là qui est partagée par L’UPEC et qu’on veut faire vulgariser.
Cette notion de gratuité est-elle en parfaite adéquation entre son acceptation par le personnel soignant et la prise en charge meilleure des patients ?
Nous savions bien qu’en 2023 on devait entrer dans la Couverture Santé Universelle qui implique essentiellement dans les habitudes du personnel cette notion de gratuité. Vous convenez avec moi que la chose la plus difficile c’est de dire au personnel soignant que les soins de prise en charge sont gratuits. C’est ça la difficulté fondamentale. Mais chez nous c’est un problème déjà presque réglé. Le personnel doit pouvoir mettre en avant la santé des patients et non l’argent. Ici à l’hôpital district de Mfou 80% du personnel soignant a déjà pu intégrer cette notion de gratuité. Et on espère qu’en cette nouvelle année 2024, tout le personnel restant puisse en faire de même.
Alors nous venons nouvellement d’entrer en 2024. Monsieur le directeur comment s’est passé l’année 2023 à l’hôpital district de Mfou ?
En termes de performance, on va dire excellemment bien. Excellemment bien parce que dans notre magister premier en 2021 quand je prenais le service, c’était de faire bénéficier à peu près à 90% de la population rurale un soin. Faire accéder à 90% de la population qui est moins nanti, une population malade n’ayant pas les moyens de se prendre en charge. Nous avons donc pris cette tranche de population et commencé à mener la bataille. Il faut dire que de 2021 à maintenant il y a une valeur croissante. On est quitté d’une moyenne de consultation de 300 en 2021 à presque 1000 patients aujourd’hui par mois.
En termes de visites notamment la fréquentabilité de l’hôpital progressivement par les ruraux a augmenté. Parmi ces 1000 patients que nous voyons par mois à l’hôpital district de Mfou, les quatre tranches sont représentées à l’instar de la pédiatrie qui se résume essentiellement aux urgences pédiatriques. J’ai envie d’éveiller les consciences des populations lorsqu’on parle de pédiatrie, car l’enfant ne vient que lorsque la maladie se complique telle que les anémies sévères et les convulsions. Il faut bien comprendre que de 2021 à maintenant le nombre d’enfants qui visitent l’hôpital a augmenté. Actuellement on se dit qu’on va élargir encore plus le spectre. Si on a encore plus de subventions qui viennent de l’État, y aura des choses qui seront encore plus gratuites. Il y a un package qu’on pourrait enlever aux familles en terme de coût pour que l’hôpital soit encore plus visité. Il faut bien savoir que pour les pathologies chirurgicales par exemple, il est difficile pour le moment de les faire gratuitement parce qu’on n’a pas assez de subventions. C’est la raison pour laquelle en gratuité, on va se focaliser sur les pathologies courantes telles que les diarrhées aigües, le paludisme de l’enfant, le paludisme graves. Ça au moins, lorsque l’enfant arrive nous faisons tout pour qu’il soit pris en charge. Payement après ou pas, on n’a pas trop de vue. De plus en plus, les ruraux prennent confiance en l’hôpital, plus ils viennent.
Le personnel au départ était un peu réfractaire mais petit à petit, il a commencé à éprouver du plaisir à soigner d’abord et à demander l’argent après. Un autre pan important est celui des urgences obstétricales. Ce service est étroitement lié au service de pédiatrie car la mère accouche l’enfant qui sera appelé à être suivi en pédiatrie. Dans la même carte de la couverture santé universelle, on enregistre la mère et l’enfant qui naît. Lorsque l’enfant revient en consultation, sa carte est valable de l’autre côté. Cette dernière est établie essentiellement lorsque l’enfant naît de ce côté-ci et valable du côté-là. Les accouchements et le suivi sont faits systématiquement à toutes les femmes qui arrivent en consultation. Elles sont fidélisées par la gratuité à travers le don de moustiquaire imprégnée, le traitement préventif intermittent du paludisme, et lorsque nous avons un arrivage de produits pharmaceutiques nous les leur donnons. Nous mettons l’accent sur la lutte contre le paludisme et grâce à cela la fréquentabilité diminue. On peut dire qu’on a moins de cas graves en anémies sévères. On a de plus en plus des femmes qui viennent à l’hôpital à 38° de fièvre mais pas à 42° ce qui nous permet de couper la base avant qu’elle ne s’aggrave.
L’autre aspect fondamentalement ouvert et crucial pour les ruraux est la chirurgie. On opère systématiquement tous les malades qui viennent avec des lésions viscérales les plus courantes parmi lesquelles les hernies étranglées ou pas, les péritonites, les appendicites aigües. La primauté est mise dans les opérations et non dans la finance que ça rapporte. À ce jour, en trois ans nous sommes déjà à presque 967 personnes en chirurgie. Dans la périphérie centrale, il n’y a plus de hernies. Actuellement on reçoit les patients qui viennent de Mbankomo, d’Obala, de Yaoundé-Centre pour se faire opérer. Si vous voyez une population de 130 000 habitants où on a déjà opéré presque 1000, il faut comprendre qu’on évolue. Il reste encore le petit filet de poisson traité par les guérisseurs pour les fractures négligées ou hématiées. Pour le moment comme la prise en charge est tellement coûteuse, on ne peut pas encore s’y engager. Mais, je pense que si on lance cette activité beaucoup viendront, car il y a beaucoup de jeunes handicapés à cause du fait qu’ils aient été hématiés.
La morgue est là, ouverte pour permettre aux populations de Mfou de lever leurs corps dans leur village. On a une capacité de huit chambres, donc on peut recevoir huit corps. Mais l’enceinte est fraîche. On peut ainsi gérer vingt corps mais seulement huit intégreront les frigos. Les corps déjà traités peuvent ne pas être mis dans les frigos mais à côté. Les levées se font chaque vendredi à bas coût.
La pharmacie est fournie en médicaments essentiels. On préfère fonctionner avec eux car ils sont à bas coût et susceptibles de permettre à la population d’y avoir facilement accès. On préfère de ce fait être plus bas pour qu’ils n’aillent pas dans la rue. C’est en effet une politique stratégique pour attirer les patients que bon nombre ignore.
Quel est votre plateau technique ? Dans des hôpitaux comme celui-ci, êtes-vous muni de tout ce qu’il vous faut ?
Le plateau technique est une notion qui est purement africaine. Moi je considère la qualité des soins, des prestations et des services par le personnel. Ça veut dire que si je possède un personnel très qualifié, si en zone rurale je parviens à donner des soins de qualité aux patients, ces patients n’ont pas à aller à la recherche d’un meilleur plateau technique. Le plateau technique qui est mieux ce n’est pas celui qui se situe dans le marbre. Je le situe dans l’éthique et la déontologie de l’infirmier qui est en face du patient car ça ne sert à rien de s’étouffer de marbre si on est mal reçu. On préfère rester dans les moustiques et d’avoir une harmonie entre le patient et l’infirmier. C’est cette harmonie-là qui génère cette énergie qui nous permet d’être en santé chaque jour. Le plateau technique je l’allie à la qualification du personnel. Nous réussissons à fournir dans notre milieu le traitement qu’il faut avec le minimum de moyen possible. C’est ça la Couverture Santé Universelle. Ce n’est pas le matériel qui soigne c’est la volonté.
Monsieur le Directeur à vous entendre parler 2023 s’est passé excellemment bien. Dans des hôpitaux de première catégorie ils ont quand même des problèmes et difficultés. Est-ce-que ça voudrait dire qu’ici à l’Hôpital district de Mfou c’est la vie en rose ?
Le problème des hôpitaux et de la santé au Cameroun s’articule toujours autour des moyens. Il n’y a pas de financement pour essayer de booster les activités dans les hôpitaux. Le patient en réalité n’a pas besoin de savoir tout ça. Le patient quand il vient à l’hôpital n’a pas besoin que nous lui récitions toute la liste de nos problèmes. Il a besoin d’être soigné et c’est le devoir du personnel soignant. On a un contrat : je dois bien le recevoir. Il a une convulsion que je dois soigner. C’est ce pourquoi je suis là. Lui dire que je n’ai pas eu le salaire ou que je n’ai pas mangé le matin n’est nullement important. Nous sommes obligés de vivre avec nos problèmes. Il est inadmissible que l’on prenne ça pour excuse de ne pas bien faire son travail. Ici à l’Hôpital de District de Mfou, on se contente du peu qu’on a et on voit toujours la vie en rose. La clé fondamentale c’est de ne pas mettre la valeur financière en avant. Nous on verra toujours la vie en rose peu importe l’endroit où on va se trouver. On ne cherche pas le milliard.
Quelles sont les résolutions pour 2024 ?
On a un taux de couverture de 80% de la population en 2023. Dans toute la commune, on connaît l’efficacité de l’hôpital district de Mfou en termes de qualification. Maintenant c’est le patient seul qui décide de venir à l’hôpital. Les urgences sont réglées. La mort on ne la soigne pas, on fait ce qu’on peut. On espère ainsi qu’en 2024, on puisse avoir les 100% et demain avoir la gratuité de 0 francs pour tous les soins c’est-à-dire que la chirurgie, la maternité, la pédiatrie, les urgences médicales se prennent en charge gratuitement. Je ne peux en aucun cas faire un budget pour la gratuité. Je vais couvrir 100% des populations rurales et lorsqu’elles arriveront à mon niveau, on fera toujours du mieux qu’on pourra pour pouvoir leur offrir des soins.
Un message à l’endroit de vos patients.
A mon personnel beaucoup de courage et d’empathie, de continuer à œuvrer pour le bonheur du patient parce que c’est pour ça que nous exerçons : pour le bien-être du patient. Pour mon peuple, je leur demande de faire confiance à l’hôpital et de continuer à s’y rendre peu importe le souci car nous ferons toujours ce qu’on pourra. Qu’il sache surtout qu’à l’hôpital de district de Mfou la valeur financière n’est pas primaire.
Propos retranscrits par SOPPI EYENGA