« Le personnel médical ne doit pas perdre une occasion d’attraper un hypertendu » : Laura CIAFFI, spécialiste des maladies tropicales et du Vih, coordonnatrice du projet ViHeillir.

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Quels sont les liens entre le Vih, les traitements antirétroviraux et le développement de l’hypertension artérielle chez les séropositifs ?

La relation entre infection à VIH et hypertension a été au centre de plusieurs discussions, Les premières données venaient des pays du nord où les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) montraient plus de maladies liées à l’âge que la population non VIH du même âge. Mais il faut dire que dans les pays du Nord elles sont aussi plus exposées aux autres facteurs de risques de l’hypertension comme le tabac et alcool.

Mais on sait aussi que la présence de l’infection à Vih quand bien même contrôlée peut causer un état d’inflammation chronique.  En effet, même quand la présence du virus est indétectable, il y a une réponse de l’organisme de type inflammatoire et cette inflammation chronique est un facteur favorisant des maladies métaboliques telle que l’hypertension, mais aussi le diabète.

Ici au Cameroun pour le moment on n’avait pas observé plus d’hypertension chez les PVVIH que chez la population générale.

Le débat a repris tout récemment avec une observation liée au nouveau médicament qui fait partie aujourd’hui de la première ligne. Il a été observé qu’il contribue à la prise de poids chez certains PVVIH et on sait que celle-ci est un facteur de risque pour l’hypertension.

Globalement, il y a déjà au Cameroun un problème de surpoids et obésité. Et avec ces nouveaux médicaments qui ont cette tendance à faire prendre du poids, le risque d’hypertension peut augmenter.

Comment la prise en charge de l’hypertension artérielle chez les personnes vivant avec le Vih peut-elle être améliorée ?

Les PVVIH ont, à la différence de la population générale, des contacts fréquents avec le système sanitaire. Et selon moi – c’est la raison pour laquelle on a mis en place le projet VIHeillir – ces rendez-vous constants sont des opportunités perdues si on ne s’occupe pas d’autres maladies. Comment je vois quelqu’un au moins 4 fois par année et je constate qu’il est hypertendu et je ne le soigne pas? Ce n’est pas normal.

Donc, je pense que pour améliorer la prise en charge, il faut que les soignants quand ils observent une tension élevée ils mettent en place un protocole pour confirmer le diagnostic, faire le bilan et traiter cette personne.

Le traitement peut s’avérer coûteux mais l’on peut commencer avec un protocole simple et pas cher, observer si ça marche. L’autre chose, c’est que ces médicaments-là soient subventionnés. Et le gros plaidoyer c’est que dans la prochaine phase de la Couverture Santé Universelle, on pense à l’hypertension en définissant un paquet minimum de soins qui ne soient peut-être pas gratuits, mais subventionnés pour les personnes hypertendues.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes vivant avec le Vih pour prévenir et gérer l’hypertension artérielle dans le cadre d’un vieillissement sain ?

La première chose c’est de prendre une tension élevée très au sérieux, même si elle est asymptomatique. L’hypertension est une maladie grave. Elle mène à d’énormes complications comme l’insuffisance rénale, l’AVC, la perte de la vue. Donc l’hypertension peut provoquer des invalidités.

Et l’une des choses valide pour toute la santé, c’est la prévention. On se plaint que la santé est chère. C’est vrai, mais pourquoi ne pas mettre en place des choses pas cher pour prévenir les maladies ! Prévenir doit être prioritaire comme faire du sport, manger sainement, équilibré avec moins de sel et de cube. Ça ne coûte rien. Cela fait même épargner de l’argent. Je marche, donc je ne paye pas le taxi ; je consomme moins d’huile, de sucre, du jus… j’épargne donc, sur le panier de la ménagère. Et en plus je préviens cette hypertension ou je la retarde. Ou encore, je préviens des complications donc, des dépenses de santé en plus.

Ça c’est que tout le monde peut faire à sa mesure. Pour faire du sport ou pour marcher surtout, il ne faut pas forcément une tenue de sport, il ne faut pas partir au parcours Vita à tous les coups pour 30 minutes d’exercice par jour.

Mais une fois que la maladie s’installe, il faut comprendre que c’est une maladie chronique qu’il faut prendre au sérieux. Pas arrêter les médicaments. Il faut comprendre qu’il faut planifier les dépenses pour sa prise en charge correcte.

En quoi la sensibilisation à cette problématique est-elle importante pour la communauté médicale et le grand public, en particulier à l’occasion de la Journée mondiale de l’hypertension artérielle ?

Presque 1 personne sur 3 est hypertendue. Mais on ne parle presque pas de l’hypertension. On doit attendre le 17 mai pour en parler. Est-ce qu’il y a des campagnes de sensibilisation des masses sur le fait de perdre du poids, de manger de façon saine ! J’avoue que ça commence mais c’est encore trop peu. C’est un combat de longue haleine parce que changer les habitudes, c’est l’une des choses les plus difficile.

Et puis, à la communauté médicale, peut-être c’est de leur recommander de ne pas perdre l’opportunité d’attraper un hypertendu. Même si par exemple, un patient vient en visite pour un ongle incarné, je lui prends la tension, je la trouve élevée, j’agis.

80% des hypertendus dans le monde, ne le savent pas de l’être. On ne dénombre que 20% qui sont au courant de leur statut. C’est fou ! Surtout quand on sait que le diagnostic n’est pas si difficile que ça. Il suffit juste d’avoir un tensiomètre. Dans les centres de santé reculés, on peut ne pas en avoir, mais toujours à moment, on se rapproche de la ville.

Combattre cette maladie doit être l’une de nos plus grandes préoccupations. De nos jours, on voit des jeunes invalidés par des AVC. Soient-ils ne marchent plus bien ou ont des difficultés à parler. Il suffit de faire un tour en cardiologie ou en neurologie pour voir que les vieux ne sont pas les seuls concernés. Avant 40 ans on est plus dans la prévention et après ou à l’approche, c’est déjà dépistage et la prise en charge qu’il faut mettre en place.

Propos recueillis par Carole AMBASSA

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